Bienveillance




Veiller au bien-être des autres, ou la bienveillance comme une des bases de la relation pédagogique

Par Julie ETCHEVERRY, publié le 15 octobre 2016 pour www.fabeps.com

Le mot bienveillance est à la mode, utilisé comme un concept mou qui se fond dans tous les thèmes.

 En effet, si la bienveillance se traduit par la capacité à se montrer attentionné envers autrui d’une manière désintéressée, beaucoup voient dans ce terme de la gentillesse excessive voire de la démagogie. 

Nous pensons, au contraire, que la bienveillance n’a pas de limite, si ce n’est l’exigence qui doit être son indispensable binôme, comme le préconise l’éducation nationale dans la circulaire 20-05-2014 concernant la préparation de la rentrée 2014 :  « promouvoir une école à la fois exigeante et bienveillante ». 

Le sport, ou devrions nous dire « les sports » supports de l’EPS, véhiculent une image médiatique associée à des valeurs liées essentiellement à la compétition, même si à la marge, de beaux exemples d’entraide font le « buzz ». 

La bienveillance ne ferait-elle pas partie de la démarche didactique et pédagogique qui permet de faire le basculement du sport à l’EPS ? 

Eduquer, c’est entre autres,  faire éprouver à l’enfant la nécessité de règles pour vivre en commun (faute de quoi on est « hors jeu » – en sport comme face aux autres apprentissages et au « vivre ensemble » , qui ont leurs propres normes – au risque d’être disqualifié). 

Et l’éducation a moins pour but d’assouvir des désirs que de créer des besoins (culturels, intellectuels) : envie de connaître et d’apprendre de nouvelles choses, plaisir de se connaître soi, de gagner en autonomie, de développer ses pouvoirs de penser et d’agir. Pour cela, il nous semble nécessaire d’établir un climat respectueux, positif et attentionné. Un climat bienveillant. 

Nous pensons que la bienveillance doit être au coeur de notre enseignement pour plusieurs raisons. 

La première est que les élèves apprennent par mimétisme, par modélisme. 

Qui ne rêve pas d’une société plus agréable et plus humaine ? Savoir en tant que professeur, s’intéresser à chacun, dire bonjour, discuter, dire merci, être souriant et disponible est la première des pierres pour instaurer un indispensable climat positif. Beaucoup d’élèves sont sensibles à notre façon de parler, de regarder, de sourire. Nous ne prenons pas toujours le temps de le faire. Essayons de donner une image de nous sereine et disponible. La bienveillance commence par là, «  je suis là pour vous ». Cela semble l’évidence mais tous les jours nous sommes confrontés à nos humeurs, aux difficultés et si cela est bien normal, nous devons au maximum garder le contrôle de notre façon de communiquer. 

Faire la moitié du chemin pour rendre à l’élève un vêtement oublié, le remercier pour son aide à ranger, lui sourire, le questionner sur ses activités ou ses intérêts, l’incite à être attentifs aux autres et à être agréable en groupe.Bien sur, ils sont nombreux me direz vous, mais il ne s’agit pas de leur faire croire que nous nous intéressons tour à tour à chacun d’entre eux, mais de leur faire comprendre avec notre façon d’être que nous, professeurs, nous intéressons à nos élèves. 

Nous précisons même que ce sont les élèves les plus fragiles et en échec que la bienveillance peut toucher. Pour B. Cyrulnik, « Peu d’enseignants ont conscience de l’impact affectif qu’ils ont sur les enfants. Certains vont rassurer et réconforter les enfants par leur façon d’être, leur manière de parler, leur attention à reprendre autrement une explication mal comprise… Généralement, ils ne s’en rendent pas compte. Un encouragement, une appréciation de leur part qui seraient perçus comme des banalités par des adultes, auront chez un gamin en recherche de sécurisation, une valeur inestimable. Ce sera un événement émotionnel fort qui participera à structurer sa personnalité. » Sur la base de ses travaux cliniques sur la résilience, il poursuit: « dire bonjour dans un couloir ou échanger deux phrases peut paraître banal. Pour l’enfant maltraité, c’est un évènement extraordinaire ». Fabienne Brugère dans son article : Le souci des autres fait-il une éducation ? nous donne nous conforte dans cette idée Eduquer, c’est toujours développer l’humain chez l’autre au nom d’une humanité du souci. »

D’autre part, et au delà de la forme, le fond marque bien évidemment les élèves : ce que pense un enseignant sur ses élèves, ses remarques subjectives positives ou négatives, influent de façon inconsciente sur leurs comportements. Perçues par les élèves, ces attentes et ce traitement qui peut être différencié, influent en retour sur leur comportement et leurs performances objectives. C’est pourquoi on parle de prophéties auto-réalisatrices. Il semble donc essentiel d’avoir une attitude positive dans la façon d’aborder ses élèves, de leur faire des remarques ou des feed-back incluants systématiquement le bien fait, le réussi, le remarquable. Il ne s’agit pas là d’être démagogique et d’occulter les aspects négatifs de son comportement ou de son résultat, mais bien d’être juste et de noter et valoriser les aspects positifs.

Les Neurosciences affectives confirment l’idée que l’apprentissage n’est efficace de façon optimale que dans un climat de non stress, quand l’élève se sent pris en considération. 

En effet, si il est prouvé que le stress est extrêmement nocif pour la zone de l’hippocampe dans le cerveau, bloquant la production de l’ocytocine et engendrant une diminution des capacités de mémorisation et d’apprentissage, il est également prouvé qu’un contact apaisé, respectueux, produit une molécule bienfaisante anti-stress : l’ocytocine. C’est la molécule de l’amitié, de l’amour, de la coopération qui permet d’être emphatique et diminue le stress. 
L’ocytocine permet elle-même la sécrétion de la dopamine qui génère le plaisir de vivre, la motivation, la créativité, de la sérotonine qui permet la stabilisation de l’humeur ainsi que des endorphines qui provoquent une sensation de bien être. 
Donc un climat bienveillant peut permettre de limiter le stress et favorise un climat de confiance, ainsi que la coopération. (John LUBY ). 
SI un climat bienveillant englobe le fait d’avoir droit à l’erreur , d’avoir droit à des remarques personnelles et positives , d’être pris en considération en tant que personne singulière, il s’agit donc aussi pour le professeur de ne pas tolérer les moqueries, les formes d’exclusions,  les propos racistes, machistes et tout comportement qui stigmatiserait ou violenterait quelqu’un.  Cela ferait basculer le concept de bienveillance dans celui du laxisme, ce qui va à l’encontre de notre propos. 
 

Il parait primordial de rappeler que l’école et par extension les enseignants ne pleuvent pas régler les problèmes qui trouvent leur source en dehors de l’école. Nous pensons seulement qu’une attitude bienveillante permet dans une certaine mesure de toucher une partie des élèves, de favoriser un climat positif et de montrer l’exemple et ne se substitue en aucun cas à un enseignement de contenus choisis et adaptés.

Cependant, il ne s’agit pas de croire à une recette miracle et il ne s’agit pas non plus de culpabiliser un enseignant qui n’obtiendrait pas les résultats escomptés. Justement, il ne s’agit pas de résultats forcément visibles, mais d’une contribution personnelle à l’échelle humaine : véhiculer l’idée que chaque personne mérite d’être accueillie avec attention et respect.  

De plus, nous ne sommes bien sur pas des modèles pour tous les élèves au sens ou on ne copie que celui auquel on s’identifie. 
D’ailleurs à la question « Enseigner, éduquer, faire de l’assistanat social… estimez-vous qu’on demande trop aux enseignants ? » Boris Cyrulnik répond par l’affirmative et considère que le nombre d’enfants agressifs que l’école doit éduquer a beaucoup augmenté et si leurs problèmes anxieux ne naissent pas à l’École, c’est là qu’ils s’y expriment. Il ajoute qu’en 2015, les élèves qui apprécient les enseignants sont une majorité… silencieuse. 

La question est maintenant, au delà de l’attitude du professeur, de définir, de cerner quels sont les paramètres contribuant à une forme d’enseignement bienveillante ? 

Offrir aux élèves la possibilité de situations complexes, riches et variées. Nous pensons que leur curiosité,  leur attention aux autres,  le développement de leur créativité, ainsi que leur ouverture au monde,  dépendent de leur ambition. 
 Selon le GFEN (Groupe Français d’Education Nouvelle) , il s’agit de leur permettre de multiplier les expériences de maîtrise, réussites qui sont sources de gratifications et de fierté, ce n’est pas à contrario, habituer à des succès faciles, à des résultats immédiats qui amènent l’élève  à désinvestir trop rapidement ce qui « résiste ». 
 Autrement dit, il faut les aider à se laisser surprendre, oser autre chose et il faut aussi les aider à comprendre que pour croire en soi, il faut dépasser ses limites, surmonter des obstacles, réussir ce qu’on estimait jusqu’alors impossible. C’est à dire être exigent avec eux au travers des situations que l’on propose. Il s’agit bien là d’évoquer le fait qu’une attitude bienveillante peut favoriser ‘estime de soi et la motivation. 
Cela se traduit également par le fait de les inciter à s’investir personnellement, à prendre des initiatives, à chercher, à tenter… et à recommencer, à ne pas se décourager, à être persévérant. 
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        La bienveillance éducative peut ainsi être entendue comme accueil et attentes positives à l’égard de l’enfant, incitation à oser, stimulation à faire et réaliser… mais aussi à réfléchir. 
Elle se distingue de la compassion et de la complaisance, mais aussi du laxisme (« tendance excessive à la conciliation ») l’indulgence systématique, l’évitement de la confrontation maintient dans l’illusion narcissique de la toute puissance et prépare des lendemains qui déchantent. En résumé la bienveillance aide l’élève, l’enfant , l’Etre en général dans ses relations avec les autres, dans ses relations avec le savoir et la culture. 
Nous conclurons sur une maxime de Goethe : «  Traiter les gens comme s’ils étaient ce qu’ils devraient être et vous les aiderez à devenir ce qu’il peuvent être. »

Bibliographie : 


Boris Cyrulnik :

http://www.vousnousils.fr/2015/06/08/boris-cyrulnik-peu-denseignants-ont-conscience-de-leur-impact-affectif-sur-les-enfants-570393


Conférence de Catherine Guegen : 

https://vimeo.com/117247370

Articles : 

Assises de l’éducation – 20 novembre 2013 La bienveillance en éducation . Jacques BERNARDIN

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/140216/ce-qui-soutient-les-eleves-l-exigence-la-bienveillance-ou-la-consideration